Blog-note de jef safi

 

Kenneth McKenzie Wark

Ecrivain, chercheur, enseignant,
théoricien de la sociologie des nouveaux médias et de la communication.
( 1961, Newcastle, Australie )

[002] Nous sommes les Hackers, les tâcherons de l’abstraction, à la fois les bousilleurs et les novateurs – les dépeceurs, les limiers d’univers. Nous produisons de nouveaux concepts, de nouvelles perceptions, de nouvelles sensations, hackées à partir de données brutes. Quel que soit le code que nous hackons, serait-il langage de programmation, langage poétique, mathématique ou musique, courbes ou couleurs, nous sommes les extracteurs des nouveaux mondes. Que nous nous présentions comme des chercheurs ou des écrivains, des artistes ou des biologistes, des chimistes ou des musiciens, des philosophes ou des programmeurs, chacune de ces subjectivités n’est rien d’autre qu’un fragment de classe qui advient peu à peu, consciente d’elle-même.

[003] Pourtant, nous ne savons pas tout à fait qui nous sommes. C’est pourquoi ce texte cherche à manifester nos origines, notre objet et notre intérêt. Un manifeste Hacker : non le manifeste unique, car il est dans la nature du Hacker d’être différent des autres le plus souvent et même, à travers le temps, de différer de lui-même. Hacker c’est se distinguer. Un manifeste Hacker ne pourrait se déclarer représentatif de celui qui est irréductible à la représentation.

[004] Les hackers créent la possibilité que des choses nouvelles s’engagent dans le monde. Pas toujours des grandes choses, ni même des bonnes choses, mais des nouvelles choses. En art, en science, en philosophie et dans la culture, dans toute production des connaissances où les données peuvent être rassemblées, d’où l’information peut être extraite, dans ce que cette information peut produire de nouvelles possibilités pour le monde, il y a des Hackers qui hackent le neuf hors du vieux. Nous, les Hackers, nous créons ces nouveaux mondes, mais nous ne les possédons pas. Ce que nous créons est hypothéqué par d’autres, pour les intérêts des autres, des États et des organisations, qui monopolisent les moyens de réaliser les univers que nous sommes seuls à découvrir. Nous ne possédons pas ce que nous produisons – cela nous possède.

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[009] L’histoire est production de l’abstraction et abstraction de la production. Ce qui rend la vie différente d’une époque suivant la précédente, c’est l’application de nouveaux modes d’abstraction, à l’oeuvre d’arracher la liberté à la nécessité. L’histoire est le virtuel rendu actuel, hack après hack. L’histoire est le cumul de la différenciation qualitative de la nature, en tant qu’elle est hackée.

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[014] C’est par l’abstraction que le virtuel est identifié, produit et libéré. Le virtuel n’est pas seulement le potentiel latent de la matière, c’est le potentiel du potentiel. Hacker c’est produire ou appliquer l’abstraction à l’information et exprimer la possibilité de nouveaux mondes au-delà de la nécessité.

[016] L’abstraction est toujours une abstraction de la nature, un processus qui crée un double de la nature, une seconde nature, un espace collectif de l’existence humaine dans lequel la vie collective demeure au milieu de ses propres produits, et en vient à considérer comme naturel l’environnement qu’elle produit.

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[389] En ces temps exténués, où même l’air se mêle aux ondes hertziennes, ou tout le profane est conditionné sous le signe de la profondeur, se présente malgré tout la possibilité de hacker dans de simples apparences, et de faire avec. Dans cet autre monde, qui en contient d’autres, encore.

Un manifeste Hacker - 2006