Blog-note de jef safi

 

(trans)individuation

t’CG : théorie pataphysique de la Créativité Générale

Métaphysique ↓→ Ontologie Monadologie Phénoménologie →↑ Cosmogonie

hic Δ nunc ↓→ Monade Phénome Phénomène Univers →↑ Multivers

P r o p o s i t i o n s

- Par individuation, j’entends le processus par lequel les échanges récursifs 1N1 d’in-formations entre Monades peuvent induire une auto-organisation à la fois individuelle et collective de ces Monades et par suite, peuvent induire une auto-organisation du phénomène et de l’idiome dans lequel ces Monades émergent ensemble.

- Le processus d’individuation est un processus qui émerge d’un multiple de Monades ; il spontanaît performativement de la série des récursions 1N1 d’in-formations échangées entre les Monades du multiple.

- Par suite, par individuation, j’entends également l’émergence d’une mémoire de ce processus en tant que persistance d’un régime récurrent d’in-formation (i.e. régime de signes, agencement d’énonciation, etc.) entretenu par la puissance du multiple perdurAnt dans son devenir.

- Par idiome, j’entends nommer ce régime de signes (ou agencements d’énonciations, ou conjonctions récursives 1N1 de trans-in-formations, etc.) dès lors qu’il persiste au coeur du processus qui le fait spontanaître et qui l’entretient performativement.

- Par pré-individuant (resp. individuant), j’entends qualifier tout état transitoire (resp. durable) de la Monade résultant de l’impact d’une in-formation, cet état transitoire (resp. durable) procédant d’une (trans)in-formation (au sens pharmacologique) de sa puissance et de sa mémoire, c’est-à-dire à la fois, inséparablement :

  • Une dégradation de sa puissance et de sa mémoire parce qu’elle ne peut pas assimiler la totalité de cette in-formation, réduisant (i.e. désorganisant, désintégrant, désagrégeant, détruisant, etc.) ainsi plus ou moins sa capacité à perdurer dans son devenir, c’est-à-dire à perdurer dans ses consistances hylétiques, ses percepts, ses affects et ses concepts.

  • Une augmentation de sa puissance et de sa mémoire parce qu’elle peut néanmoins assimiler une part de cette in-formation, augmentant (i.e. renforçant, accentuant, étendant, développant, affinant, aiguisant, etc.) ainsi plus ou moins sa capacité à perdurer dans son devenir, c’est-à-dire à perdurer dans ses consistances hylétiques, ses percepts, ses affects et ses concepts.


C o r o l l a i r e s

- J’entends énoncer ici les quatre degrés fondamentaux de réaction pré-individuante (immédiate et instable) d’une Monade dès qu’elle est in-formée, i.e. dès qu’elle est impactée (inquiétée dirait Leibniz) par une in-formation avant d’exercer sa puissance et sa mémoire en conséquence.

Ces quatre degrés fondamentaux de réaction pré-individuante de la Monade sont corrélés aux quatre modes fondamentaux d’exercice de sa puissance et de sa mémoire (hylétiques, perceptives, affectives et cognitives) de la manière suivante :



puissance hylétique perceptive affective cognitive
in-formation  : Δ consistance Δ percept Δ affect Δ concept
o - L’impassibilité
#↓ 1 - Le dérangement
o→ #↓ 2 - L’aveuglement
o→ o→ #↓ 3 - Le bouleversement
o→ o→ o→ #↓ 4 - La sidération
o→ impact absorbé a posteriori (filtré, toléré, assimilé, assumé, etc.)
#↓ impact a priori désorganisateur (désintégrateur, désagrégateur, destructeur, etc.)


- La Monade peut être dérangée par ses propres consistances, en se laissant tromper par sa propre puissance hylétique, perdurAnt alors inadéquatement dans son devenir-elle-même.

- La Monade peut être aveuglée par ses propres percepts, en se laissant tromper par sa propre puissance perceptive, perdurAnt alors inadéquatement dans son devenir-elle-même.

- La Monade peut être bouleversée par ses propres affects, en se laissant tromper par sa propre puissance affective, perdurAnt alors inadéquatement dans son devenir-elle-même.

- La Monade peut être sidérée par ses propres concepts, en se laissant tromper par sa propre puissance cognitive, perdurAnt alors inadéquatement dans son devenir-elle-même.

- Le dérangement de la Monade est le premier degré de trans-in-formation (en l’occurence passif) que l’on nomme communément en physique "le mouvement des corps".

- Le dérangement est le seul degré de réaction pré-individuante de la Monade simple.

- La sidération est le 2nd degré (après le dérangement) de réaction pré-individuante du Phénome simple.

- Par idiome, j’entends le régime récurrent d’in-formations lui-même (i.e. le régime de signes, ou l’agencement d’énonciation) entretenu par le multiple de Monades lorsque le multiple est le lieu d’un processus de (trans)individuation de celles-ci.

- Par rhizome, j’entends la substance/essence performative de ce lieu ; performative en ce sens que :

  • le réseau inter-Monadique est formé là où l’idiome circule par récursions 1N1, et est trans-formé lorsque l’idiome s’y transforme.
  • l’idiome lui-même est formé par les conditions d’échange dans le réseau inter-Monadique, et est transformé quand ces conditions d’échange se transforment.

- Par suite, j’appelle Phénome une Monade qui participe à un processus d’individuation au sein d’un multiple de Monades.

- Par phénomène, j’entends le multiple de Monades au sein duquel un processus d’individuation engendre la spontanaissance performative d’un idiome et de son rhizome.

- .../...

S c o l i e s

- L’état pré-individuant de la Monade est appelé élégamment inquiétude par Leibniz :
Notre corps ne saurait être parfaitement à son aise ; parce que, quand il le serait, une nouvelle impression des objets, un petit changement dans les organes, dans les vases et dans les viscères, changera d’abord la balance et les fera faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur état qu’il se peut ; ce qui produit un combat perpétuel qui fait pour ainsi dire l’inquiétude de notre horloge... ( Nouveaux Essais ).
Si on le dés-anthopocentre, son propos est de portée parfaitement général quant à l’homéostasie de la Monade. Il pourrait être, sans le trahir :
Tout corpus ne saurait être en équilibre homéostasique ; parce que, quand il le serait, une nouvelle in-formation des objets, un petit changement dans les organes, etc., changera d’abord la balance et les fera faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur état qu’il se peut ; ce qui produit un combat perpétuel qui fait pour ainsi dire l’inquiétude de sa puissance ...

- Friedrich Nietzsche (Crépuscule des idoles - 1888) : "Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort."

- "La nature dans son ensemble n’est pas faite d’individus et n’est pas non plus elle-même un individu : elle est faite de domaines d’être qui peuvent comporter ou ne pas comporter d’individuation »
( Gilbert Simondon )

- Réf. à G. Tarde, G. Deleuze, B. Stiegler, .../...

- Réf. à C.Castoriadis, . . le magma imaginaire auto-institutionnalisé . .

- Combien de gens accroissent votre solitude en venant l’interrompre !
( Sacha Guitry )

- Henri Atlan (Spinoza et la biologie) : "Il n’y a pas de relation causale possible entre un état mental, l’esprit, et le corps. Comme il dit, nul ne sait ce que veut le corps. La volonté et l’entendement sont une seule et même chose. La volonté en elle-même n’a pas de pouvoir autre que le pouvoir de faire comprendre. Elle n’a pas de pouvoir causal quant au mouvement éventuel du corps."

- Définition d’Ars Industrialis, i.e. une lecture stieglerienne de Simondon, plutôt que de Simondon lui-même :
L’individu n’est pas seulement un (unité, totalité), il est unique (unicité, singularité)1. Un individu est un verbe plutôt qu’un substantif, un devenir plutôt qu’un état, une relation plutôt qu’un terme et c’est pourquoi il convient de parler d’individuation plutôt que d’individu. Pour comprendre l’individu, il faut en décrire la genèse au lieu de le présupposer. Or cette genèse, soit l’individuation de l’individu, ne donne pas seulement naissance à un individu, mais aussi à son milieu associé. Telle fut la leçon philosophique de Gilbert Simondon.

L’individuation humaine est la formation, à la fois biologique, psychologique et sociale, de l’individu toujours inachevé. L’individuation humaine est triple, c’est une individuation à trois brins, car elle est toujours à la fois psychique (« je »), collective (« nous ») et technique (ce milieu qui relie le « je » au « nous », milieu concret et effectif, supporté par des mnémotechniques)3. Cet « à la fois » constitue en grande partie l’enjeu historique et philosophique de la notion d’individuation. Par exemple, on se demandera de quelle manière la médiation mnémotechnique de l’imprimerie surdétermina les conditions de l’individuation et reconfigura les rapports du « je » et du « nous ». La politique industrielle ou l’écologie de l’espriti que nous appelons de nos vœux repose fondamentalement sur la ré-articulation entre l’individuation psychique, l’individuation collective et l’individuation technique.

Individuation vs. individualisme. C’est un paradoxe de notre temps maintes fois relevé : l’individualisme de masse ne permet pas l’individuation de masse. C’est la force des technologies de gouvernances néolibérales que d’avoir réussi à priver l’individu de son individuation, au nom même de son individualité. L’individualisme est un régime général d’équivalence où, chacun valant chacun, tout se vaut ; à l’inverse, l’individuation engage une philosophie où rien ne s’équivaut. L’individualisme répond à une logique où l’individu réclame sa part dans le partage des ayants droits (partage entre particularités, entre minorités) ; à l’inverse, l’individuation répond à une philosophie qui brise cette logique de l’identification, et pour laquelle il n’est pas de partage qui ne soit participationi et pas de participation qui ne mène l’individu à dépasser ce qui le départage. On l’aura compris : l’individuation n’est pas l’individualisation – et l’individualisation, au sens où l’entend l’individualisme consumériste, est une désindividuation.

Il est donc des banalités philosophiques bonnes à rappeler : l’individu est singulier dans la mesure où il n’est pas particulier. Comment échapper à la particularité d’un chiffre (celui d’un génome, d’un code barre, d’une étiquette RFID) ou à celle d’un moi (une opinion, un goût, un vote) ? La particularité est reproductible, la singularité ne l’est pas : elle ne peut pas être un exemplaire – mais elle est un exemple de ce que c’est que s’individuer. Un individu est singulier dans la mesure où il n’est pas substituable : sa place ou son rôle ne peut pas préexisteri à son être. Il y a donc de quoi s’inquiéter des standardisations industrielles productiviste puis consumériste qui transforment le singulier en particulier, ou de ce marketing croissant qui assaille un cerveau de plus en plus formaté et de moins en moins formé.

1- Historiquement, l’individualité a toujours eu deux faces. D’une part, l’individu est l’atome, il est ce que l’on ne peut pas diviser sans tuer, d’autre part, l’individu est l’unique, il est ce qui n’est pas substituable. D’une part, l’individu se distingue comme unité totale face à son environnement, d’autre part il se distingue comme unité singulière face aux autres individus. Ces deux faces sont conciliables, mais pour cela nous devons considérer la totalité indivisible comme étant celle de l’individu et du milieu, et non celle de l’individu seul. Dans cette optique, un individu ne peut être singulier que si son milieu est singulier – cela suppose que l’on peut partager le même lieu sans partager le même milieu. Du point de vue spécifique, c’était la leçon d’Uexküll (cf. Milieu animal et milieu humain, Rivages, 2010) ; mais on peut appliquer cette idée à l’individu : deux individus différents peuvent avoir le même « environnement », ils ne peuvent stricto sensu avoir le même « milieu ». Du point de vue darwinien, une « variation individuelle » ne serait pertinente au regard de la sélection que dans la mesure où elle modifierait sa relation au milieu, et donc le milieu lui-même.

2- Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Millon, 2005.

3- Sur la reprise critique de Simondon par Stiegler, cf. Bernard Stiegler, « Chute et élévation. L’apolitique de Simondon », Revue philosophique, Paris, PUF, n°3/2006, et Jean-Hugues Barthélémy, Penser l’individuation, Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 224-232.