Par temps, l’acception commune au sein du phénomène anthropologique est tellement saturée de percepts différents, d’affects variés, de concepts multiples, qu’on peut dire avec Etienne Klein que ce vocable souffre d’une "polysémie fulgurante". C’est la raison pour laquelle, dans ce magma cacophonique saturé, la présente Monadologie distingue les trois seuls concepts temporels qui lui sont nécessaires et suffisants : le kairos, l’aiôn et le chronos.
Par kaïros, j’entends l’aptitude de la monade à faire de toute in-formation une occasion opportune de persévérer dans son devenir en exerçant et faisant l’expérience de sa puissance pour com-prendre cette in-formation quels que soient les modalités par lesquelles cette com-préhension s’actualise (percevoir, filtrer, assimiler, digérer, anaboliser, métaboliser, intégrer, connaître, re-connaître, etc. ).
Ainsi le kairos est-il le temps propre de la monade ; c’est un temps hylétique en ce qu’il procède de la succession de ses complexions. Un temps propre, un temps hylétique, qui se développe sur le plan de composition de l’aiôn.
Tel un évènement qui a lieu, le kairos est un temps propre qui fait lieu.
C’est ainsi que le kairos de la monade est son seul attribut temporel en ce qu’il détermine sa vitesse entropique ds/ΔS dans son univers, c’est-à-dire l’ampleur de son empreinte dans l’espace des phases de l’univers dans lequel elle émerge, persévère dans son devenir et s’épuise.
Toute monade étant singulière, tout kairos l’est aussi. Mais, de la même manière qu’une monade peut être une monade de monades, tout kairos peut être un kairos de kairos, un faisceau de kairos.
Par aiôn, j’entends le kairos d’un univers, c’est-à-dire le faisceau des kairos de toutes les monades qui y émergent, y persévèrent et s’y épuisent. Autrement dit, par aiôn d’un univers, j’entends cet univers lui-même en tant qu’il a lieu, en tant qu’il fait lieu, en tant qu’il procède de la succession de ses complexions.
Par chronos, j’entends le concept permettant à un multiple de monades, qu’elles soient ou non chacune monade de monades, de synchroniser dans l’aion les rencontres de leurs kairos respectifs. Ainsi, le chronos est-il naturellement un concept de l’idiome du phénomène et de par sa nature propre, l’un des concepts participant de l’idiomogénéité de ce phénomène.
Par hic Δ nunc, j’entends la classe de tous les sous-ensembles de toutes les complexions potentielles, possibles, virtuelles, actuelles et révolues d’un univers.
Par suite, par hic Δ nunc, j’entends une occurrence de cette classe, c’est-à-dire, dans un univers donné, un sous-ensemble quelconque de l’aiôn de cet univers.
La loi de composition mutuelle des classes de la Monadologie est celle d’une structure imbriquée de type "gigogne". Ainsi, toutes les instances de la classe Monade aux instances de la classe Univers, sont aussi des instances de la classe hic Δ nunc.
La classe hic Δ nunc ne permet pas a priori, parmi tous les sous-ensembles de toutes les complexions d’un univers, d’y distinguer les potentielles, les possibles, les virtuelles, les actuelles ou les révolues, pas plus que d’en distinguer de quelconques catégories. En revanche, le hic Δ nunc est la métaclasse qui, affectée d’attributs non-vides, peut s’instancier (ou se substancier) dans les autres classes de la monadologie t’CG, que sont les Monade, Phénome, Phénomène ou Univers, qui elles, permettent de telles distinctions.
Principe de "diversalité" (ou d’hétéromogénéité) : Chaque lieu (à entendre ici au sens spatio-temporel de notre univers physique), c’est-à-dire chaque hic-et-nunc de cet univers, ainsi que chaque monade de cet univers, ouvre nécessairement un point-de-vue différent sur cet univers. De sorte que, toutes monades semblables, toutes monades identiques, sont néanmoins nécessairement différentes et se perçoivent et se conçoivent mutuellement comme à la fois semblables et différentes, ou autrement dit encore se perçoivent et se conçoivent réciproquement comme à la fois mêmes et autres. Réciprocité et altérité sont les deux termes d’un même dialemme : même Δ autre.
RAPPEL : La loi de composition mutuelle des classes de la Monadologie t’CG est celle d’une structure imbriquée de type "gigogne", ainsi :
linéament |
perceptible | (face extérieure de l’interface) | OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
Ø |
perceptif | (face intérieure de l’interface) | Ø |
OUI |
OUI |
OUI |
Ø | |
puissance |
hylétique | (d’in-former de la matière) | Ø |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
perceptive | (d’in-former des percepts) | Ø |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI | |
affective | (d’in-former des affects) | Ø |
Ø |
OUI |
OUI |
OUI | |
cognitive | (d’in-former des concepts) | Ø |
Ø |
Ø |
OUI |
OUI | |
mémoire |
hylétique | (persistance de la matière) | Ø |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI |
perceptive | (persistance des percepts) | Ø |
OUI |
OUI |
OUI |
OUI | |
affective | (persistance des affects) | Ø |
Ø |
OUI |
OUI |
OUI | |
cognitive | (persistance des concepts) | Ø |
Ø |
Ø |
OUI |
OUI | |
Le hic Δ nunc simple est "simple" en tant qu’il n’est instance d’aucune autre classe. Hors son linéament perceptible, tous ses autres attributs sont vides.
Le hic Δ nunc simple est l’ensemble des "quelque-choses" qui disposent d’un linéament perceptible mais qui ne disposent pas d’un linéament perceptif, c’est-à-dire qu’il est l’ensemble des "quelque-choses", sans substance actuelle, en soi, qui ne sont que conçus, pensés, imaginés, etc., par d’autres (ie. d’autres Monades).
Dans un Univers (impermanent nécessairement), un hic Δ nunc simple est virtuel, possible ou potentiel, il ne peut persister que par la persistance de la Monade qui le perçoit (ie. le conçoit, le pense, l’imagine, etc.).
Sans substance, il n’est pas en soi mais en l’autre ; son essence n’est que d’être perçu (ie. conçu, pensé, imaginé, etc.) par l’autre. Le hic Δ nunc simple est proche de la monade Leibnizienne.
Le temps est le nombre d’un mouvement selon l’antérieur et le postérieur.
( Aristote - Physique IV 11, 219 b 1-3)
Le temps, c’est ce qui passe quand rien ne se passe.
( Jean Giono )
J’ai fait don aux hommes de l’attente, qui est merveilleuse et terrifiante.
( propos de Prométhée, par Eschyle )
Au train où vont les choses, les choses vers lesquelles vont les trains vont bientôt cesser d’être des gares. ( Pierre Dac )
L’horizon est apparu pour définir une sensation que j’avais sur le temps, les superpositions de temps, où le passé vient en surimpression du présent. C’était un sentiment presque d’intemporalité. Le terme horizon est venu pour traduire cette espèce de surimpression du passé sur le présent, où tout devient intemporel, où le passé n’est pas quelque chose de révolu mais se mélange au présent, où l’avenir aussi est mêlé. Il y a une sorte de mélange des temps qui fait que tout reste ouvert dans une espèce d’intemporalité. C’est une impression bizarre de surimpression et à la fois de transparence du temps. C’est difficile à expliquer d’une manière rationnelle.
( Patrick Modiano - Interview Mediapart du o9 mars 2o1o pour la sortie du roman L’Horizon)
"Chaque événement est adéquat à l’Aiôn tout entier, chaque événement communique avec tous les autres, tous forment un seul et même Événement, événement de l’Aiôn où ils ont une vérité éternelle. Voilà le secret de l’événement : qu’il soit sur l’Aiôn et pourtant ne le remplisse pas." ( Gilles Deleuze - Logique du sens )
(La t’CG partage cette définition de l’Aiôn, mais y préfère au mot évènement, le mot in-formation.)
C’est en se faisant idiome du phénomène que chronos impose son empire temporel, plus encore par son hégémonie individuante que par son caractère intrinsèquement temporel. C’est ainsi que dans l’Anthropos, chronos exhibe et impose sa seule définition dans tous les discours techniques et scientifiques, et qu’il gouverne et dirige alors "à la baguette" la plupart des activités de cet homo faber qui se voulait homo sapiens, jusqu’à se faire passer pour une notion primitive qu’on ne peut pas rapporter à une autre plus fondamentale.
Ainsi toute complexion d’une substance est-elle une instance de la classe hic Δ nunc, de l’instance la plus réduite, ordinaire et quelconque, qu’est le point (au sens de la topologie) ; à la plus immensément composite, extraordinaire et singulière que peut être un univers (au sens de la physique spéculative contemporaine, quelqu’en soit le modèle : Everett, Deutsch, Linde, super-cordes, gravité quantique, etc.).
Sur le plan de consistance mathématique, dans un univers donné, l’ensemble de toutes les instances de hic Δ nunc forme un groupe de Lie, un groupe continu dont chaque instance peut être approchée, d’aussi près que l’on veut, par une suite d’autres instances. Par suite, dans un univers donné, l’ensemble de toutes les monades forme un groupe de Lie.
Sur le plan d’immanence deleuzien, un hic Δ nunc est un agencement sans énonciation effective, sans actualisation, et donc sans condition de possibilité de déploiement virtuel, sans ligne de fuite.
En clair, dans un univers tel que notre univers physique, même avec son acception usuelle disjonctive de l’espace et du temps, un hic Δ nunc est une fraction quelconque du présent de l’aiôn ; il ne peut devenir co-présent à lui-même que s’il s’instancie en monade.