Directeur de recherche au CNRS, chercheur au Centre de sociologie européenne (CSE),
membre du collectif « Les Économistes atterrés ».
(15 janvier 1962)
Frédéric Lordon est en voie de franchir un pas épistémologique important. Il a trouvé avec Spinoza l’arme qui lui permet de synthétiser harmonieusement des disciplines aussi divorcées à ce jour que sont l’économie, la sociologie et la psychologie. Il rejoins en cela de nombreux scientifiques dont nombre de biologistes contemporains. Dès que, pour progresser encore un peu plus haut, il s’emparera des développements de la neuropsychologie cognitive, plutôt connexionniste, (à la Damasio, Naccache, Kemp, Tenenbaum, Dehaene, etc.), alors il donnera de surcroît de l’épaisseur scientifique à ses intuitions philosophiques. Il ne lui manquera plus que de s’emparer aussi de la théorie des jeux et de la coopération (de von Neumann à Axelrod, en passant par Caillois, etc.), ainsi que des processus de trans-individuation (à la Simondon), pour parachever une théorie sociologique structuraliste des passions où le conatus et l’ingenium spinoziens, armés des algorithmiques neurologiques bayésiennes, montreront comment nous nous trans-individuons par auto-apprentissage de nos stratégies et de nos jeux tactiques de "persévérance dans l’être", par maximisation de nos pouvoirs prédictifs et minimisation de nos erreurs et souffrances. Autrement dit comment nous "co-créons notre monde" en réduisant les errances de l’entropie en exploitant les puissances affectives de nos mémoires, toutes nos mémoires, hypomnemata inclus, individuelles et transindividuelles.
Alors, et alors seulement, on abandonnera les vieilles lunes du libre-arbitre cartésien, pour com-prendre celles de l’auto-apprentissage trans-individuant des libres-joueurs (homo ludens) faisant l’expérience de leur puissance en milieu bruité, c’est-à-dire dans leurs jeux sociaux à donnes et règles incomplètes et instables. Le réveil sera néanmoins brutal quand on sait les conclusions de la théorie des jeux appliquées aux processus de collaboration : "Quand les partenaires de jeux ne croient plus au gagnant-gagnant, le premier d’entre-eux qui trahit les autres est celui qui gagne (à court terme)". C’est somme toute très spinozien . . ce sont là les conséquences naturelles et naturées des rapports de prédation entre agencements d’affects collectifs concurrents. Est-ce seulement triste ? Ou est-ce la seule raison qui permette d’espérer dans l’émergence d’une éthique de la raison comme dernière revendication de valeur et donc de puissance des êtres naturés "pensants", mais cette fois sur une ligne de fuite émancipatrice pour ne pas demeurer brutalement prédatrice socialement et écologiquement . . ? Une éthique écosophique ?