Historien de la philosophie et philosophe français.
(18 janvier 1925, Paris / 4 novembre 1995, Paris)
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Le concept est une multiplicité, une surface ou un volume absolus, autoréférents, composés d’un certain nombre de variations intensives inséparables suivant un ordre de voisinage et parcourus par un point en état de survol. Le concept est le contour, la configuration, la constellation d’un événement à venir.
( Gilles Deleuze - Qu’est-ce que la philosophie ? )
[...] Le premier principe de la philosophie est que les Universaux n’expliquent rien, ils doivent être eux-mêmes expliqués. On peut considérer comme décisive cette définition de la philosophie, connaissance par purs concepts mais tombe le verdict nietzschéen vous ne connaîtrez rien par concepts, si vous ne les avez d’abord créés… Philosopher, c’est créer des concepts. [...]
( Gilles Deleuze - Qu’est-ce que la philosophie ? )
[...] De l’immanence, on peut estimer qu’elle est la pierre de touche
brûlante de toute philosophie, parce qu’elle prend sur soi tous les
dangers que celle-ci doit affronter, toutes les condamnations,
persécutions et reniements qu’elle subit. […] La part de l’immanence, ou la part du feu, c’est à cela qu’on reconnaît le philosophe. L’immanence ne l’est
qu’à soi-même, et dès lors prend tout, absorbe Tout-Un, et ne laisse
rien subsister à quoi elle pourrait être immanente. En tout cas, chaque fois qu’on interprète l’immanence comme immanente à Quelque chose, on peut être sûr que ce Quelque chose réintroduit le transcendant. [...]
( Gilles Deleuze - Qu’est-ce que la philosophie ? )
[...] Les lignes de fuite ne définissent pas un avenir mais un devenir. Il n’y a pas de programme, pas de plan de carrière possible lorsque nous sommes sur une ligne de fuite. On devient soi-même imperceptible et clandestin dans un voyage immobile (...) où le plus grand secret est de n’avoir plus rien à cacher. [...]
( Gilles Deleuze & Felix Guattari - Mille Plateaux )
Dans philosophe il y a "ami". [...] la philosophie, comme l’amitié, ignore les zones obscures où s’élaborent les forces effectives qui agissent sur la pensée, les déterminations qui nous forcent à penser. [...] il ne suffit pas d’un ami pour s’approcher du vrai. [...] Aux vérités de la philosophie il manque la griffe de la nécessité. La vérité ne se livre pas, elle se trahit ; elle ne se communique pas, elle s’interprète ; elle n’est pas voulue, elle est involontaire. [...] la recherche de la vérité est l’aventure de l’involontaire. La pensée n’est rien sans quelque chose qui force à penser, qui fait violence à la pensée. Plus important que la pensée, il y a ce qui "donne à penser" ; plus important que le philosophe, le poète. [...] Ce qui force à penser c’est le signe. [...] L’acte de penser ne découle pas d’une simple possibilité naturelle. L’acte de penser est, au contraire, la seule création véritable. La création c’est la génèse de l’acte de penser dans la pensée elle-même. [...] Penser, c’est toujours interpréter, c’est-à-dire expliquer, développer, déchiffrer, traduire un signe. [...] Il n’y a que des sens impliqués dans des signes ; et si la pensée à le pouvoir d’expliquer le signe, de le développer dans une Idée, c’est parce que l’Idée est déjà dans le signe, à l’état enveloppé et enroulé, dans l’état obscur de ce qui force à penser.
( Gilles Deleuze - Proust et les signes )
[...] Une heccéité peut durer autant de temps, et même plus de temps nécessaire au développement d’une forme et à l’évolution d’un sujet. mais ce n’est pas le même type de temps : temps flottant, ligne flottante de l’Aïôn, par opposition à Chronos. Les heccéités sont seulement des degrés de puissance qui se composent, auxquels correspondent un pouvoir d’affecter et d’être affecté, des affects actifs ou passifs, des intensités. [...] C’est l’heccéité qui a besoin de ce type d’énonciation. Heccéité = Evènement. [...] Une chose, un animal, une personne ne se définissent plus que par des mouvements et des repos, des vitesses et des lenteurs (longitude), et des affects, des intensités (latitude). Il n’y a plus de formes, mais des rapports cinématiques entre éléments non formés ; il n’y a plus de sujets, mais des individuations dynamiques sans sujet, qui constituent des agencements collectifs. Rien ne se développe, mais des choses arrivent en retard ou en avance, et entrent dans tel agencement d’après leurs compositions de vitesse. Rien ne se subjective, mais des heccéités se dessinent d’après les compositions de puissances et d’affects non subjectivés. Carte des vitesses et des intensités.
- L’heccéité, ou eccéité, est un terme de philosophie médiévale qui renvoie à l’essence singulière de chaque chose.
- A l’origine, aïôn est un mot du grec ancien qui se traduit parfois par "éternité". Gilles deleuze reprend ce terme pour penser un temps non pas linéaire, chronologique, mais confondu avec le surgissement de l’évènement.
( Gilles deleuze - Dialogues avec Claire Parnet )
[..] il ne suffit pas d’avoir un monde pour être un animal. Ce qui me fascine moi, complètement, c’est les affaires de territoire. Et avec Félix on a fait vraiment un concept, presque un concept philosophique avec l’idée de territoire. ... Il y a des animaux sans territoire, mais les animaux à territoire c’est prodigieux. Parce que, constituer un territoire, pour moi c’est presque la naissance de l’art. Quand on voit comment un animal marque son territoire, tout le monde invoque toujours les histoires de glande anales, d’urine, avec lesquels il marque les frontières de son territoire. mais ça dépasse beaucoup ça, quoi. Ce qui intervient dans le marquage d’un territoire, c’est aussi une série de postures. Par exemple se baisser, se lever. Une série de couleurs. Les drilles par exemple, les couleurs des fesses des drilles, qu’ils manifestent à la frontière du territoire. Couleur, chant, posture, c’est les trois déterminations de l’art. Je veux dire, la couleur, les lignes, les postures animales sont parfois de véritable lignes. Couleurs, lignes, chants. C’est l’art à l’état pur. Et alors je me dis quand ils sortent de leur territoire, ou quand ils reviennent dans leur territoire, leur comportement ... Le territoire c’est le domaine de l’avoir. Or c’est très curieux que ce soit dans l’avoir, c’est-à-dire mes propriétés, ... à la manière de Becket ou à la manière de Michaux. Le territoire c’est les propriétés de l’animal. [...] pour des raisons données, je tiens à réfléchir à cette notion de territoire. Et je me dis : le territoire ne vaut que par rapport à un mouvement par lequel on en sort. Il faut donc réunir ça. [...] dès lors avec Félix on a construit un concept, que j’aime beaucoup, qui est celui de déterritorialisation. [...] la notion à prétention nouvelle c’est que, il n’y a pas de territoire sans un vecteur de sortie du territoire. Il n’y a pas de sortie de territoire, c’est-à-dire de déterritorialisation, sans en même temps un effort pour se reterritorialiser ailleurs, sur autre chose. [...] Ce qui me fascine en gros, c’est tout le domaine des signes. Les animaux émettent des signes, ils ne cessent pas d’émettre des signes. [...] si on me posait la question : qu’est-ce que c’est pour vous un animal ? Je répondrais : c’est l’être aux aguets. [...]
( Gilles Deleuze - L’Abécédaire, lettre A comme Animal )
[..] En fait le premier principe est toujours un masque, une simple image, ça n’existe pas, les choses ne commencent à bouger et à s’animer qu’au niveau du deuxième, troisième, quatrième principe, et ce ne sont même plus des principes. Les choses ne commencent à vivre qu’au milieu. [..]
( Gilles Deleuze - Différence et Répétition )
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Par Virginie Bloch-Lainé et Clothilde Pivin, émission France Culture du 01.05.2011 :