[...] ce que vous voyez là, c’est le début d’un film extrêmement . . spécifique et intéressant qui s’appelle "L’Homme à la Caméra" (Dziga Vertov). Dans la caverne du livre 7 de La République, on se fait du cinéma. Cette caverne, dans laquelle selon Platon nous sommes, je soutiens que c’est le lieu du pharmakon. Ça fait maintenant bientôt trois ans que je soutiens cela. C’est-à-dire le lieu de l’artifice, tel qu’il est -1- toujours à la fois toxique et curatif, et -2- tel qu’il est notre lot, ce qui veut dire : ce dont on ne peut pas sortir. Même si là, précisément, dans la caverne, on ne cesse de rêver d’en sortir. Et cela, ce faisant que nous rêvons d’en sortir, pendant que nous rêvons d’en sortir, cela nous conduit, parce que nous réalisons nos rêves (cf. avant-dernier cours), cela nous conduit à construire d’autres cavernes ailleurs. Nos rêves, quand nous les réalisons, nous conduisent à construire d’autres cavernes, hors de la caverne, et en plein air par exemple (comme des salles de cinéma en plein air [...]).
Avant tout commentaire relatif à ce cours, il est important de rappeler que la t’CG, à l’instar ici de Bernard Stiegler, accorde à la métaphore de la caverne une importance primordiale.
La t’CG définit la Monade comme la classe de toute chose qui fait "unité" dès lors qu’elle "consiste", et énonce que tout ce qui "consiste", dans un univers donné, tout ce qui fait "un", est néanmoins nécessairement à la fois constitué et constituant d’autres monades.
La t’CG énonce ainsi qu’il n’y a que trois types de relations topologiques entre monades. Deux relations d’imbrication : une monade en contient une autre (en tout ou partie) ou une monade est contenue (en tout ou partie) dans une autre. Enfin la juxtaposition, exclusive de l’imbrication : une monade peut ne pas en contenir une autre sans que cette autre la contienne. Lorsque deux monades sont juxtaposées, il existe nécessairement parmi les monades qui incluent la première au moins une monade qui inclut la seconde.
Voilà pourquoi la métaphore de la caverne est primordiale pour la t’CG. Toute chose donnée d’un univers donné, toute monade, ne connaît de son univers que tout ou partie de l’intérieur de tout ou partie des monades qui l’incluent, et partage cette situation avec ses monades juxtaposées. Tout point-de-vue d’une monade sur son univers englobant n’est issu que de tout ou partie des linéaments internes des cavernes que constituent pour elle les monades englobantes, ainsi que n’est issu que de tout ou partie des linéaments externes de tout ou partie des monades juxtaposées (co-habitantes de tout ou partie des mêmes cavernes englobantes).
Ce que la t’CG ramasse en un simple énoncé : "tout point-de-vue d’une monade sur son univers est nécessairement singulier et intra-cavitaire". Il s’agit là du fondement topologique par lequel la t’CG (et sa monadologie en particulier) est une philosophie perspectiviste au sens de Leibniz, Nietzsche, Deleuze, etc.
Ce que je viens de vous dire là ça fait déjà quelque temps que je le répète. Depuis le dernier cours, j’ai ajouté que cette caverne dans laquelle nous rêvons, et à l’intérieur de la quelle nous réalisons nos rêves et par là produisons d’autres cavernes (mais nous ne sortons du coup jamais des cavernes), cette caverne commence au plus profond de nos âmes. Et en l’occurrence dans nos capacités oniriques. C’est-à-dire, dans nos pouvoirs de rêver. [...] Nous pouvons rêver de façon nocturne. C’est d’ailleurs comme ça qu’on parle du rêve, on voit . . on expérimente . . on fait l’expérience du rêve en tant que rêve, c’est-à-dire en tant que moment où il peut se passer des choses les plus incroyables. La nuit, dans le sommeil. Mais nous pouvons aussi rêver de façon diurne, [...] des rêves collectifs. Je vais parler tout à l’heure des rêves collectifs.
Rêver de façon diurne, qu’est-ce que ça veut dire. Ça veut dire "imaginer", c’est-à-dire "penser". Je soutiens que "penser" c’est d’abord et avant tout "imaginer". Evidemment il y a toutes sortes de façons de penser, toutes sortes d’imaginaires, et ce sont des arts, des ars je dirais en latin. Des techniques, autrement dit. La technique est une façon d’imaginer et l’imagination conduit, comme le disait Gilbert Simondon, à la pensée qui pense avec ses mains, à l’invention bien sûr. Car ce dont je vous parle ici c’est de l’invention, mais aussi de la découverte. Par exemple, dans ce que Gaston Bachelard, dont voici une extraordinaire couverture possible de son ouvrage "L’eau et les rêves", développe à propos des relations entre le rêve, l’imaginaire et la psychanalyse, dans leur rapport à la science, [...] et dans lequel il parle du rêve comme source de la science.
Outre cela, vous voyez quelqu’un qui est sous l’eau, et qui s’achemine vers la surface de l’eau. C’est-à-dire qu’il a à faire avec la question du poisson volant, dont je vous parle sans arrêt. [...] Rêver, c’est en quelque sorte voler comme un poisson, sortir de l’eau, sortir de l’élément, passer sur un autre plan. Le rêve nous fait passer sur un autre plan. Et cet autre plan sur lequel nous passons par le rêve et par l’imagination, il nous conduit aux idéalisations - comme tous les rêves, rêver c’est idéaliser - et aux découvertes, aux idéalisations scientifiques, aux découvertes scientifiques (ici par exemple celle de Marie Curie et de son époux Pierre) les plus prometteuses mais telles qu’elles peuvent toujours cependant et finalement reconduire aux pires cauchemars. Comme le sent venir Paul Valery en 1919, dans La Crise de l’Esprit, qui revient sur la Crise de l’Esprit en 1939 [...] où il sent venir Auschwitz et sent aussi venir Hiroshima (dont voici une victime).
[...] Cette caverne, en tant qu’espace du rêve - Parce que la caverne, Platon nous dit ça, ce qu’on voit dans la caverne c’est un rêve - , moi je dis, c’est notre vie, c’est notre lot. Cette caverne, elle est au plus profond de nos âmes, notre capacité, notre capacité onirique. Et bien, nous allons voir tout à l’heure que ce qui est au plus profond de nos âmes comme étant cette capacité, Emmanuel Kant lui donne un nom, et un nom austère pour quelque chose d’onirique, il appelle ça le "schématisme".
Quel est le rapport entre le schématisme et le rêve ? Et bien c’est ce que je vais essayer de vous montrer. Il y en a un. Et non seulement il y en a un, mais c’est beaucoup plus qu’un rapport, le schématisme C’EST la capacité de rêver. C’est ce que je vais essayer de vous montrer maintenant. Je tiens à vous dire que ce que je vais essayer de vous dire maintenant est absolument hétérodoxe à toute tradition philosophique. C’est-à-dire que je ne suis pas du tout du tout en simple répétition de commentaires classiques de l’histoire de la philosophie. Je suis quasiment à l’opposé de tous les commentaires possibles et imaginables qu’ont ait pu faire sur Emmanuel Kant. AUtant vous le dire tout de suite parce que [...]
Ce n’est pas vrai. Tous les interprètes de Kant n’en sont pas des orthodoxes ou des thuriféraires, loin s’en faut. Certes, la lecture de Bernard Stiegler n’est pas classique, mais elle rejoins néanmoins nombre d’autres, dans et en dehors des cercles philosophiques. Alors pourquoi s’affirme-t-il comme cela ?
Une des difficultés que rencontrent des lecteurs et auditeurs de Bernard Stiegler est cette propension à entretenir une forme de paranoïa, malheureusement contre-productive. Bernard Stiegler semble construire un complexe affectif, passionnel, qui amalgame sa puissance critique (au sens philosophique noble du terme, d’autant plus critique qu’elle est à certain égards hétérodoxe) et sa puissance militante (au sens sociologique et politique du terme, d’autant plus militante qu’elle est à certains égards subversive à l’égard de la doxa).
Ces deux puissances ont leurs légitimités propres mais se conjuguent dans une sorte de disharmonie perdante-perdante. L’analyse critique du philosophe perd sa neutralité axiologique, ce qui dessert son discours hétérodoxe, et l’analyse critique du militant s’alourdit d’arrogance intellectuelle, ce qui dessert sa ligne du "nous" lorsqu’elle suit celle du "moi". Heureusement, cette propension ne fait que poindre par moment lorsqu’il est, comme ici, en situation de conférencier ou d’écrivain, mais elle peut quelque fois l’emporter jusqu’à perdre sa crédibilité lorsqu’il est en situation de débat contradictoire. C’est dommage, tant son travail de fond est pertinent et ses méthodes (participatives, associatives, etc.) enthousiasmantes.
Par la suite . . je me contenterai de mettre en italique les propos ainsi accentués lorsqu’ils me sembleront ne rien apporter au cours lui-même, voir lorsqu’ils sembleront le détourner, le dérouter.
Ce dont je vais vous parler aujourd’hui c’est de ce que je vais appeler une pharmacologie du schématisme. Je vais essayer de vous montrer aussi que ce sera une schématisation par le pharmakon. Schématisation, qu’est-ce que ça veut dire ? Et bien on le verra tout à l’heure. Chez Emmanuel Kant c’est un des concepts les plus mystérieux. Lui-même le dit, lui-même le présente comme quelque chose de mystérieux, et on y reviendra tout à l’heure.
J’ai besoin avant cela de donner quelques éléments introductifs et contextuels. Notre sujet dans ce cours en général, et non seulement cette année, mais dans l’école en général, c’est le soin qu’il faut prendre du pharmakon. Et c’est aussi les manières d’en prendre soin. Car il y a des manières, par exemple il y a une manière chinoise de prendre soin du pharmakon. Il y a aujourd’hui une manière française de "ne pas" prendre soin du pharmakon, ou une manière américaine de "ne pas" prendre soin du pharmakon. Il y a aussi une manière chinoise de "ne pas" prendre soin du pharmakon aujourd’hui.
Mais ce que je crois c’est que ce qui fait les cultures en général, leur diversité, leur génie, leur attrait, quelles qu’elles soient, esquimau, amazonienne, africaine, européenne, ce qui fait qu’on voyage, [...] on est attiré par toutes ces cultures même quand ça nous effraie un peu parfois, c’est parce qu’elles sont du génie. Ce sont des façons géniales - génial voulant dire originelle en réalité [...] le génie c’est celui qui est origine de soi - de prendre soin du pharmakon. [...]
En toutes ces manières de prendre soin du pharmakon, il y a ce que je vais appeler - j’en ai déjà parlé dans le cours précédent - un "archi-cinéma", un archi-cinéma qui conditionne ces diverses manières de prendre soin du pharmakon, qui est leur condition commune à toutes ces manières de prendre soin. Depuis les caves ornées du paléolithique supérieur jusqu’à la dégénérescence contemporaine. J’emploie un mot qui est tabou. Il ne faut jamais employer ce mot-là. Les nazis l’ont employé, l’art dégénéré. Madame le Pen l’emploie aujourd’hui. Et bien moi aussi je l’emploie. Je ne veux pas laisser à madame le Pen le privilège de dire ce que tout le monde ressent et que personne n’ose dire. Je pense que c’est une très grave erreur de se cacher derrière son petit doigt et de ne pas dire les choses comme elles sont. Nous sommes dans une période de dégénérescence. C’est-à-dire d’incurie, de non soin, où on ne prend pas soin du pharmakon. On subit le pharmakon et ça peut nous rendre bête et méchant.
Ça n’est pas philosophiquement convaincant, mais seulement politiquement passionnant. Il serait beaucoup plus pertinent de "dire les choses comme elles sont", ce que Bernard Stiegler a pourtant su très bien faire dans plusieurs ouvrages, c’est-à-dire désigner le système médiatique comme ensemble de plusieurs pouvoirs dont certains sont corrupteurs des pouvoirs institutionnels démocratiques, corrupteurs en ceci précisément que les fins propres de ces pouvoirs médiatiques ne sont pas de prendre soin du pharmakon de l’intérêt général, celui qui n’appartenant à personne appartient à tout le monde, mais de prendre soin des pharmaka particuliers de leurs mandants.
Autrement dit, ne faudrait-il pas considérer LE pharmakon comme composite, comme un magma dirait Castoriadis, c’est-à-dire DES pharmaka et des puissances compétitrices pour le contrôle de leurs soins respectifs. De sorte que, dans cette compétition, certains pouvoirs par voies médiatiques, profitant de leur puissance dominante, gagnent la partie de leur point de vue et entretiennent une véritable "bêtise systémique" (syntagme stieglerien) du point de vue des citoyens qui subissent cette domination. Noter qu’ici, il serait pertinent de ne pas amalgamer toutes les conséquences de ces processus et de distinguer les buts et les effets collatéraux, c’est-à-dire de distinguer la bêtise voulue délibérément de la bêtise collatérale causée par d’autres objectifs.
Ce qui est philosophiquement beaucoup plus stimulant ici chez Stiegler, en revanche, c’est le concept d’archi-cinéma. Parmi les attributs de ce phénomène, il ne manquera pas de montrer comment cet archi-cinéma "fait écran", moins pour projeter une réalité-rêve masquant le réel que pour interdire à quiconque d’y projeter d’autres rêves. C’est dans ce sens qu’il faudrait entendre la "bêtise systémique" comme pathologie engendrée par les coercitions de l’archi-cinéma contemporain, aujourd’hui coercitions mondialisées, uniformisantes, destructrices des singularités, destructrices du diversel.
Note : On ne peut s’empêcher ici de retrouver pour partie le fascisme de la langue tel que défini par Barthes, l’étouffante hyperréalité telle que définie par Baudrillard, la grammatisation générale du monde telle que déconstruite par Derrida, ou les plans de compositions machiniques tels que définis par Deleuze et Guattari, etc.
Quoiqu’il en soit, derrière tout cela il y a la question d’une condition commune à toutes les façons de prendre ou de ne pas prendre soin du pharmakon. Et ça, ce que j’appelle l’archi-cinéma, est à la fois la condition de possibilité des diverses façons de prendre soin du pharmakon et ce que j’appelle, après Jacques Derrida, leurs conditions d’impossibilité. Jacques Derrida reprenant une thématique d’Emmanuel Kant, qui était la condition de possibilité, a montré dans plusieurs ouvrages qu’une condition de possibilité est toujours aussi une condition d’impossibilité. C’est-à-dire qu’elle est limitée, qu’elle a une limite, et que la pensée, la pensée critique au sens d’Emmanuel Kant, ça consiste d’abord à . . comment dire . . à rechercher cette limite. Non pas pour la transgresser, elle ne l’est pas transgressible, mais pour la considérer et en prendre soin. Prendre soin des limites.
Ce n’est pas exactement ce que dit Derrida pour qui l’événement étant l’impossible qui advient, les conditions de possibilité de l’événement sont par là même ses conditions d’impossibilité. Magnifique rhétorique métaphysique derridéenne mais inappropriée en l’occurrence.
Le sens qu’en donne Stiegler ici est beaucoup plus pertinent, la référence derridéenne mise à part. L’idée, partagée par la t’CG, est que tout archi-cinéma, est un écran, un crible, un filtre, etc., et donc à la fois une condition de possibilité de captation/projection d’un flux (in-formation) donné et donc une condition d’impossibilité des captations/projections complémentaires.
Idéalement, un filtre, un crible, un écran, etc., mieux il est défini, formé, constitué, etc., mieux il sépare les flux perceptibles et leurs empreintes mémorisables et concevables, etc., en deux flux complémentaires : ce que le filtre autorise et ce que le filtre rejette. Mais réellement, aucun filtre, aucun crible, ne peut être "parfaitement" défini ni parfaitement opérant. C’est de cette limite dont il s’agit, de ce pouvoir de séparation et de discrimination, dont parle ici Stiegler dans un sens beaucoup plus concret et pragmatique que celui métaphysique de Derrida.
S’il fallait le dire à la manière de Derrida, il faudrait plutôt énoncer que tout filtre, tout crible, etc., et donc toute projection "archi-cinématographique" est une "métaphore" en ceci qu’elle a le pouvoir, entre plusieurs flux a priori inconciliables, d’en retenir les similitudes, les analogies, les redondances, etc., c’est-à-dire d’en écarter les différences, les contradictions, les dissemblances, etc.
Et puisque je vous parle des limites, je voudrais vous dire que cet archi-cinéma je le fais remonter - comme vous le savez, j’en ai parlé souvent - au moins au paléolithique supérieur. Et c’est devant les ornements des grottes du paléolithique supérieur que Georges Bataille (que voici) parle de l’homo ludens, l’homme qui joue, l’homme joueur, dont il dit qu’il est au-delà de l’homo faber. [...]
L’antériorité appartient à l’historien des cultures Johan Huizinga dans "Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu" en 1951. Georges Bataille n’y est revenu, à juste titre certes, qu’en 1979 dans son Lascaux.
L’homme qui joue c’est l’homme qui rêve éveillé. Regardez les petits enfants qui sont en train de jouer . . ils rêvent éveillés. Les petits enfants ne font pas du tout la différence entre le diurne et le nocturne. Et les artistes continuent à ne pas faire la différence entre le diurne et le nocturne. Par exemple celui-ci dont je vous ai parlé, il s’appelle Calder. Cet archi-cinéma donc, qui traverse toutes les façons de prendre ou de pas prendre soin du pharmakon, le cinéma du XXe siècle, ce qu’on appelle le cinéma au sens courant du mot, le cinéma qui apparaît en 1895, au XXe siècle il en révèle, il en dévoile, il en extériorise, il en spatialise des effets. Je veux dire par là que ce qu’on appelle le cinéma, au sens habituel du mot, au sens d’Hollywood si vous voulez, c’est une technologie qui est apparu il y a . . 120 ans maintenant, permet, parce que c’est un stade de la grammatisation, de rendre visible, analysable, tangible, des caractéristiques fondamentales de l’archi-cinéma. Des possibilités et des impossibilités rendues possibles par l’archi-cinéma. Et ici, au moment où je vous parle de cela, du cinéma comme révélateur et dévoilement du fonctionnement de l’archi-cinéma, [...] c’est bien le moment de dire que le plus grand penseur de ce cinéma révélateur [...], de cette pharmacologie cinématographique, c’est lui, [...] Alain Resnais. Il va beaucoup nous manquer, . . parce qu’il a donné à penser sur le cinéma extrêmement loin. Et à mon avis on en parlera très longtemps . . si jamais on continue à parler, In Shaa Allah ! Et rien n’est moins sûr que ça continuera qu’on parle. On bavarde beaucoup, mais parler c’est une autre affaire.
Quoi qu’il en soit, souhaitons à Alain Resnais un long séjour au fond de nos rétentions secondaires collectives, car c’est un très grand penseur des rétentions secondaires collectives. j’ai essayé de le montrer moi-même dans un livre qui s’appelle "De la Misère Symbolique", et j’y ai consacré un chapitre entier aux rétentions secondaires collectives chez Alain Resnais. Uniquement sur un film qui est "On Connaît La Chanson", mais j’espère bien le faire sur l’ensemble de ses films car il en parle dans tous ses films. Alain Resnais était un penseur de ce que j’appelle moi la rétention tertiaire comme support de la rétention secondaire collective.
Alors pour approfondir ces questions, le rêve comme archi-cinéma au plus profond de nos âmes, etc., le cinéma comme révélateur du fonctionnement de cet archi-cinéma, donc nos rêves, avec la psychanalyse, nous allons aujourd’hui dans la deuxième partie du cours nous tourner vers le cinéma comme art. Ce qu’on appelle le septième art. Avant cela, [...] à propos du cinéma comme art, du pharmakon cinématographique comme art, tel qu’il est aussi une industrie (cf. Malraux), est ce qui permet de lutter contre le cinéma comme pharmakon toxique. C’est ce que dit ici Frank Capra : "Le cinéma est une maladie. Lorsqu’il atteint votre sang, il devient vite l’hormone numéro un ; il supplante les enzymes, commande la glande pinéale, joue avec votre psyché. Comme avec l’héroïne, le seul antidote au cinéma est le cinéma." Frank Capra qui est un très grand metteur en scène, qu’on regarde parfois un petit peu de haut [...], mais c’est un génie. [...] C’est un vocabulaire biologique désuet qui mélange tout, mais peu importe. Ce qu’il veut dire c’est qu’il rentre dans votre cerveau et comme l’héroïne, le seul antidote c’est le cinéma. [...] Frank Capra nous parle ici du cinéma comme un poison (et son antidote), un pharmakon. La seule solution est de faire un cinéma curatif et non pas toxique. C’est la même chose que ce que dit Godard, que ce que disent tous les véritables cinéastes. Je vous fais remarquer en passant que ce metteur en scène comme on l’appelle parfois, les gens comme Frank Capra ou Alain Resnais, on dit aussi le réalisateur. Vous avez remarqué cela, le cinéma c’est une "réalisation", une réalisation du rêve du cinéaste. [...]
Capra c’est le réalisateur d’un film bien particulier, bien connu aussi, extraordinaire, qui est une projection rêvée c’est-à-dire idéale de la démocratie américaine telle que l’imagine Frank Capra dans un film qui s’appelle "Monsieur Smith au Sénat". [...] Si je vous montre ce film c’est pas seulement parce que je l’aime beaucoup, mais c’est parce qu’il parle de ce dont nous parlons [...] : la République de Platon. Parlant de la République de Platon nous parlons de la caverne. Dans la caverne il y a des poisons et qu’est-ce qui est en jeu autour de ces poisons pour Platon qui lui voudrait supprimer ces poisons ? La République c’est-à-dire la politeia. Ce dont je vous parle c’est du rapport entre le cinéma et la politique, et pas simplement la politique mais aussi la politeia ce qui n’est pas la même chose. En l’occurrence ici la démocratie américaine, qui est la démocratie du cinéma, qui est la démocratie où en 1912 le Congrès américain dit "le commerce suit les films, le cinéma est une question stratégique". C’est le pays, cf Godard, où le cinéma constitue la nation. [...] La République de Platon est constituée par l’écriture, pas par le cinéma. Et ce que je vous dit c’est que le cinéma et l’écriture renvoient à un archi-cinéma qui est lui-même le pharmakon.
Si le cinéma est un poison, comme le décrit et comme le dit Frank Capra, [...] c’est parce que le cinéma a un pouvoir de suscitation et de manipulation des capacités de projection qui sont en nous. [...] Vous allez voir bientôt que le schème chez Kant est une projection et que c’est un projecteur. [...] Le cinéma peut vous faire vous projeter dans l’avenir nazi de l’Allemagne. [...] Le cinéma en général a un pouvoir de manipulation et de captation des capacités de projection, du pouvoir de rêver autrement dit, et de protention en général.
. ./. . 29:00
. avec . . Bernard Stiegler : Pharmacologie du schématisme (1/4)
. avec . . Bernard Stiegler : Pharmacologie du schématisme (2/4)
. Pharmakon.fr - Cours du 15 mars 2o14 - Cours n°7.