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avec . . Swoon
Dé(re)territorialisation de secours

Entretien de Swoon, par Hugo Vitrani, à l’occasion de l’expo Motherlands à la Galerie L.J (Paris)

dimanche 19 janvier 2014


Swoon, courant alternatif par Mediapart

J’ai toujours eu l’envie de m’engager dans la ville. Quand tu essayes de créer une démarche qui incite les gens à s’investir eux aussi plus directement dans la ville, alors inévitablement il y a un aspect politique inhérent à la démarche. Il s’agit d’un geste qui va dans le sens d’une démocratisation de l’espace public au profit des gens qui y vivent.

Quand j’ai commencé à travailler dans l’espace public, je voulais que mon travail dialogue avec la ville. La simplicité de la gravure et du découpage papier semblaient interagir avec le collage, la façon dont tu te déplaces dans la ville, les murs, les pubs, les graffitis, la peinture, les textures . . les voitures qui passent, et tout ce qui se passe dans la rue. A l’origine je faisais de la peinture, mais il me semblait que le langage de la ville, les buildings, les fenêtres, les portes . . il y a une certaine multiplication dans la manière dont la ville est créée, la manière dont la ville évolue en couches successives. Je voulais donc que mon travail interagisse avec ces éléments, c’est pourquoi je travaille avec la gravure et les multiples.

Puis j’ai fait attention à ne jamais reproduire exactement deux fois la même oeuvre et j’aime beaucoup cette idée de pouvoir partir d’une base et de pouvoir la décliner avec des milliers de variations différentes.

En temps de crise, chacun a évidemment son rôle à jouer. Même lorsque les gens reconstruisent leur vie, on oublie trop souvent que l’on a tous besoin d’émotions . . de dimension spirituelle, de choses qui nous touchent, et qui visent notre âme et notre imaginaire. C’est important, même dans un contexte de crise, de destruction et de reconstruction de soi. Donc je cherche toujours des endroits où je peux avoir ce type d’impact direct en allant parfois jusqu’à faire des actions plus concrètes. Je recherche toujours à réfléchir sur ce qui peut nous toucher, nous enrichir, et nous aider à sortir d’une situation de crise.

Je voyage souvent pour essayer de voir et apprendre des personnes qui créent des modes de vie alternatifs, des personnes qui organisent leurs vies de façon différente, qui surmontent les problèmes en étant créatifs, qui sont en situation de résilience et de manque de ressources. J’essaye d’apprendre et de partager leurs savoirs.

Ces travaux sont issus d’un projet que je mène depuis longtemps à Braddock en Pennsylvanie. Beaucoup de villes des Etats Unis ont perdu leurs industries et cette ville est en pleine faillite. On s’est d’abord impliqué dans ce projet pour sauvegarder un immeuble sublime qui allait être détruit. Nous avons cherché un moyen de le sauvegarder de façon créative. Je me suis donc mise en relation avec un groupe qui vit là-bas, j’y vais également depuis des années même si je n’y vis pas. Ces dessins sont des réflexions sur l’histoire locale, celle des habitants qui sont restés. J’essaye de voir à quoi ressemblent leurs vies aujourd’hui, de les documenter, essayer de faire un portrait qui valorise la richesse qu’il y a ici plutôt que de simplement faire un portrait de cette tragédie.

Après le tremblement de terre en 2010 en Haïti, le niveau de destruction atteint était énorme, à tel point que tout le monde pouvait se sentir utile et s’impliquer, des grosses aux petites organisations, jusqu’aux individus seuls. Alors avec un groupe d’amis avec qui j’ai fais plusieurs projets, on s’est dit que plutôt que de mettre encore des moyens dans nos projets artistiques habituels, nous allions cette fois les utiliser pour essayer d’aider et d’améliorer la situation. Plusieurs personnes nous en voulaient au début, on nous reprochait de ne pas être une vraie ONG, d’être des amateurs. Mais nous avons décidé d’apporter notre aide en misant sur la dynamique et les rencontres en petits groupes. Ce qui était impressionnant c’est que dès que nous avons fini de construire la première maison, les gens étaient impressionnés, personne n’avait encore commencé de construction. Les grosses organisations sont enlisées dans leur bureaucratie, les moyens qu’ils utilisent, tous ces problèmes liés à leur taille, ou simplement à leur statut d’organisation et d’institution. Nous, nous travaillions avec des matériaux trouvés sur place, main dans la main avec un petit groupe de gens. Notre connexion avec eux étaient très directe. Ça m’a fait réaliser que ça faisait sens de travailler avec cette proximité et de faire ce genre de petits projets. C’est créatif mais ça répond aussi à un problème spécifique dans un contexte précis. C’est là que j’ai compris que même lorsque tu t’investis pour aider à résoudre une situation de crise, tu le fais toujours d’une manière différente d’une ONG en mettant au centre de la démarche l’idée de la relation.

Je viens de Floride donc j’ai grandi avec une forte relation avec la mer. Mon projet avec des radeaux vient de l’idée que j’avais de créer de l’art en mouvement . . le mouvement sur l’eau était la réponse évidente. Dans mon travail on retrouve aussi mes réflexions sur les animaux marins, la sixième extinction . . c’est un phénomène très actuel, la plus importante extinction d’espèces provoquée par l’Homme depuis les dinosaures. On n’avait pas vu ça depuis la disparition des dinosaures. Beaucoup de mes dessins font donc référence à ce phénomène, mais aussi aux marées noires . . Ma famille vient du Golfe de Floride qui a été dévasté par une marée noire, ce qui m’a fait réfléchir sur ces problématiques. Aussi, on fait face au phénomène mondial de montée des eaux, il y a partout cet effet de vague montante, mais il ne s’agit pas de l’aspect "romantique" de la mer . . il s’agit plutôt du sentiment qui te dit que tu dois faire tes valises, ou qu’une partie de la ville va se noyer dans l’océan.

Cette exposition s’appelle "Mère-patrie" en hommage à ma mère qui est morte cette année, mais aussi parce que la plupart de mes dessins parlent de gens sans abris, des gens détruits, mais des gens qui malgré tout continuent de se battre. Il s’agit donc de ce qu’on essaye de protéger, ce qu’on perd . . En dessinant ma mère mourante j’ai pu regarder sa vie en face et arrêter de me voiler la face. Ma mère était accro aux drogues et souffrait de problèmes mentaux. En étant élevée enfant dans ce contexte, tout en ayant assez de soutien pour être créative, j’ai toujours pu trouver refuge dans la création comme un moyen pour créer du sens dans le chaos, un moyen pour créer du sens dans la destruction ou dans des situations qui paraissent sans avenir. je pense donc que j’essaye d’appliquer à des situations extérieures le processus que j’ai appliqué dans ma propre vie.

Je pense que mon travail est opiniâtrement optimiste. Il ne s’agit pas de nier les difficultés, c’est un refus d’accepter l’idée qu’il ne puisse pas y avoir d’alternatives possibles.

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