Blog-note de jef safi

s’ e n t r e - t e n i r

avec . . Bernard Stiegler
Technique & Mémoire

samedi 5 février 2011

transcription de A voix nue - France Culture - décembre 2oo2
2ème partie : La technique comme mémoire

(...) C’est en méditant ce 2ème grand moment du Ménon, où Socrate va chercher à démontrer à Ménon que "chaque fois que je sais quelque chose, en fait je m’en re-souviens et je le trouve en moi-même", que j’ai commencé à formuler mon hypothèse de travail à savoir que "la mémoire humaine est toujours hypomnèse", "est toujours technique".

(...) La spécificité de notre mémoire, d’être philosophant que nous sommes en tant que nous sommes des hommes - moi je pense que tout homme est un être potentiellement philosophant, pas forcément actuellement philosophant, mais potentiellement se posant de véritables questions - , est une mémoire artificielle, artefactuelle, qui permet la transmission des questions de générations en générations. Une mémoire qui permet la matérialisation du temps, sa spatialisation, et donc sa retransmission, sa reconstitution.

(...) Cette hypothèse je l’ai élaborée en étudiant Platon, je suis plutôt un philosophe du platonisme. (...) C’est à l’intérieur du platonisme, et donc de la naissance de la philosophie, qu’au départ je travaille sur le problème de la mémoire. C’est depuis la question de la mémoire que je pose le problème de la technique, en particulier le jour où, je me suis mis à méditer un mythe qui est raconté par Protagoras. Dans ce dialogue où Platon met en scène Socrate et Protagoras, la question du dialogue est de savoir "Qui peut avoir part à la décision politique ? Qu’est-ce que c’est que le savoir politique ?", et pour essayer de prouver que n’importe qui peut accéder au savoir politique - c’est-à-dire pour défendre la démocratie -, Protagoras raconte l’histoire de Prométhée dans une nouvelle version qui est inspirée à la fois d’Hésiode et d’Eschyle.

Cette narration dit, selon Protagoras (...), qu’un jour Zeus, le père des dieux, le père de l’Olympe, a décidé que le moment était venu de faire venir au jour les êtres non-immortels, ceux qui ne sont pas des immortels. Il n’y avait jusque là que des immortels, c’est-à-dire des dieux. Tout à coup, pour une raison inexpliquée - mais ça c’est la mythologie, où les mythes n’expliquent jamais les choses - , Zeus dit que le moment est venu de faire venir au jour des êtres mortels, les non-immortels. Et donc Zeus demande aux titans que sont Prométhée et son frère jumeau Épiméthée de réaliser cette tâche.

Il faut savoir que les titans sont des êtres dominés par Zeus, des dieux, des fils de Chronos comme Zeus qui sont entrés en conflit avec Zeus et que Zeus a pratiquement réduit en servitude, pour ne pas dire en esclavage. Zeus demande à ces Titans de prendre de la terre glaise, et de donner forme à cette terre glaise grâce à des dunamis, à des formes, le terme grec signifie des puissances, que Zeus leur donne et avec lesquelles ils vont pouvoir mettre en forme, faire apparaître les non-immortels.

Prométhée et Épiméthée son jeune frère s’apprêtent à faire ce que leur a dit Zeus. Bien que frère jumeau, Épiméthée apparaît comme jeune parce que (comme son nom l’indique Epimêtheús, qui réfléchit après coup) c’est quelqu’un de très distrait, de presque idiot, la figure contraire de son frère Prométhée qui (comme le dit son nom Promêtheús, qui prévoit) est au contraire très prévoyant et très intelligent. Ils forment à eux deux un couple de jumeaux qui constitue - j’essaierai d’expliquer pourquoi - la question de la temporalité.

Alors que Prométhée s’apprête à faire venir au jour les non-immortels, Épiméthée lui dit "laisse-moi faire, je veux m’en occuper.". Prométhée craint un malheur mais il cède à son frère et lui laisse faire la distribution des dunamis, c’est-à-dire la distribution des qualités, des formes, des puissances qu’a donné Zeus aux deux Titans. Le dialogue raconte qu’Épiméthée distribue aux uns la vélocité (au zèbre par exemple qui court très vite), aux autres la puissance et la force (au lion par exemple qui mange le zèbre), à un troisième la carapace (de la tortue), à un quatrième ... etc.

Finalement que décrit le mythe en quelques phrases ? La constitution d’un équilibre écologique. C’est-à-dire une bonne distribution des qualités pour que la lutte pour la vie puisse se faire dans des conditions acceptables pour tout le monde, c’est-à-dire sans qu’il y ait destruction d’une espère par une autre.

Mais on arrive au terme de la distribution et Épiméthée s’exclame : "j’ai fait une bêtise, (Épiméthée fait toujours des bêtises, c’est une figure de gribouille, c’est la figure chez Lacan de l’après coup, du lapsus, etc.)". Épiméthée dit : "j’ai oublié de garder une qualité alors qu’il me reste à faire venir au jour un dernier mortel, un dernier étant, le mortel par excellence à savoir l’homme."

Épiméthée .. a oublié .. de garder .. une dunamis .. pour l’homme. C’est ce qui va obliger son frère Prométhée à faire le "vol du feu". Prométhée est très embarassé, il fallait faire venir au jour les non-immortels et on a oublié de garder une dunamis pour l’homme. Alors Prométhée pour s’en sortir pense à un expédient, à une solution palliative, il va voler un peu du feu à Héphaistos le dieu des forges et des volcans, le dieu forgeron, le dieu artisan, le dieu créateur des techniques. Prométhée et Épiméthée font enfin venir au jour .. l’homme, mais comme un être technique, par la faute d’Épiméthée comme un être sans dunamis, sans qualité donnée par Zeus. Un être qui n’a pas de qualité prédestinée, qui n’est pas prédestiné à être ce qu’il est, à la différence de toutes les autres, du zèbre, du lion, de la tortue, etc., qui sont prédestinés à être véloces, puissants, auto-protégés, etc., des êtres prédestinés, mais en quelque sorte, à être enfermés dans leur niche écologique.

Ainsi l’homme est-il un être technique, sans qualité prédestinée, mais un être qui n’a pas de limite. Pas de limite parce que c’est un voleur d’une certaine manière. Ou plus exactement, parce que c’est un être artificieux, un être de la tromperie, de la mimêsis, de la technique. C’est un être sans dunamis donné par Zeus, mais doté de qualités artificielles obtenues par imitation des talents réels du dieu forgeron, du dieu des artisans qu’est Héphaistos.

Ce qui est important, c’est la suite du mythe. Dans la suite, il apparaît que les hommes qui ont acquis le savoir technique vont entrer en conflit les uns avec les autres pour une raison facile à comprendre. Etant donné qu’ils n’ont pas de prédestination, qu’ils sont sans destin écrit d’avance, ils ne vont pas s’entendre sur les techniques à employer, les prothèses à inventer, les modes de vie à adopter, etc., ils vont commencer à se faire la guerre. Ils vont entrer en crise politique, morale et sociale avec eux-mêmes, en grec ça s’appelle la stásis. C’est très important parce qu’au moment où Protagoras raconte cette histoire, Athènes est en guerre avec elle-même, les athéniens et les spartiates, en tous cas les grecs se font la guerre entre eux, la Grèce est en permanence au bord de la guerre civile. Il faut bien interpréter ce mythe par rapport au contexte politique de l’époque.

Épiméthée ayant commis cette faute : l’oubli, redoublée par une deuxième faute : celle de Prométhée obligé de voler la technique à Héphaistos contre son gré, alors la punition factuelle, mécanique, automatique, c’est que les hommes vont se faire la guerre entre eux. Alors à ce moment-là Zeus dit "Il y a un problème". Il y a des êtres que nous avons engendrés, qui s’appellent les hommes, et qui se font la guerre entre eux. Il se tourne vers Hermès et lui dit "tu vas aller les voir et tu vas leur donner le savoir de la justice et de la pudeur, de la honte, de l’honneur, - moi j’appelle ça d’une certaine manière le savoir de la mesure, de la finitude - pour qu’ils soient capables de vivre ensemble et de ne plus se faire la guerre, et en particulier "tu inscriras en eux un certain nombre de savoir qui sont ceux de la justice et à partir de là la question de l’interprétation de la loi. Finalement que va faire Hermès ? Il va apporter à la cité l’écriture des lois. Hermès est le dieu de l’écriture. La loi chez les grecs est une loi positive, c’est-à-dire une loi écrite, qui fait l’objet d’un débat. Dans les tribunaux il y a des débats contradictoires. C’est comme ça que naît la passion du logos. Et finalement, va apparaître cette question de l’hermeneia, c’est à dire de l’interprétation, qui est le coeur de la question philosophique.

J’insiste sur ce mythe pour deux raisons.

La première raison, c’est qu’il montre d’une manière précise et concise, que la question du temps procède d’une technicité ; parce que finalement la question de l’interprétation c’est la question du temps, interpréter le sens des lois c’est la jurisprudence, créer de la jurisprudence c’est entrer dans l’histoire, entrer dans l’histoire c’est entrer dans une modalité du temps politique. Ce mythe montre que la question du temps procède d’une technicité, d’une prothéticité originaire des êtres humains. Les êtres humains sont des êtres artificieux, techniques, prothétiques ; ils ne trouvent pas leur être à l’intérieur d’eux-mêmes mais dans des prothèses qu’ils fabriquent, qu’ils inventent. Cela veut dire aussi qu’ils sont libres mais en même temps voués à l’errance, à la désorientation originaire, ils ont à inventer leur être-là, leur existence - contrairement à ce que prétend Heidegger - l’avoir-à-être, c’est-à-dire la liberté, la responsabilité de soi, n’est pas aliénée par la technique mais au contraire constitutée par la technique, rendue possible par la technicité. C’est ce premier point qui me fait articuler dans mon travail la technique et le temps.

La deuxième raison, c’est que cette formulation mythologique trouve une espèce de pendant scientifique, littéralement extraordinaire, dans l’ouvrage publié par André Leroi-Gourhan en 1964-1965 : "Le geste et la parole". C’est un ouvrage issu de ses travaux de préhistoire, de paléontologie humaine, après avoir longtemps pratiqué l’ethnographie, en l’occurrence l’ethnographie des techniques, essentiellement dans le pacifique sud, mais pas seulement. Pour résoudre des problèmes d’ethnologie et d’ethnographie des techniques, Leroi-Gourhan en est venu à s’intéresser aux fossiles humains et est devenu le très grand préhistorien que l’on connaît. Il a particulièrement travaillé sur les conséquences d’une découverte faite en 1959 par un sud africain d’origine anglaise, (...), qui est la découverte de ce qu’on appelle le sinanthrope. Le sinanthrope est un australopithèque, daté de 4 millions d’années à l’époque - considéré aujourd’hui un peu moins ancien, la datation a été révisée - c’est un être qu’on trouve en Afrique, qui pèse environ 30 kilos, qui est un véritable bipède, c’est attesté parce qu’il a un trou occipital qui est exactement à la perpendiculaire du sommet du crâne, il marche debout - il n’est pas comme un grand singe qui peut marcher debout mais qui court à quatre pattes, lui il marche et court debout - et donc il a libéré ses membres antérieurs de la motricité, il les a libéré pour la fabrication.

Et là je voudrais dire deux choses.

La première c’est qu’André Leroi-Gourhan montre que ce qui fait l’humanité de l’homme, pas au sens des droits de l’homme ou de l’humanisme mais de la possibilité de dater ce qu’est l’homme en tant que rupture dans l’histoire de la vie, en tant que apparition d’un nouveau type d’être vivant, (...) le processus d’hominisation. Ce qui fait ce processus d’hominisation c’est un processus d’extériorisation technique du vivant, c’est-à-dire de quelque chose qui relève du vivant qui tout à coup passe hors du vivant, à savoir et ce n’est pas rien, l’externalisation des conditions de prédation et de défense, de lutte pour la vie tout simplement. L’homme est un être qui conduit sa lutte pour la vie par des organes non biologiques, artificiels, avec des techniques.

Le deuxième point, qui est pour moi décisif, c’est qu’André Leroi-Gourhan montre que la technique est un vecteur de mémoire. Si on regarde ce qui se passe entre l’australopithèque et le néandertalien, 3 millions d’années s’écoulent entre les deux. Si on regarde la différence entre leurs objets techniques respectifs, les premiers sont d’une très grande rusticité - encore que fabriquer les galets éclatés est très difficile (...) il faut une très grande technicité, ce sont déjà des gestes assez complexes mais élémentaires - ; en revanche à l’époque du néandertalien, on a à faire à des centaines de petits objets en silex taillés qui sont de la véritable dentelle de silex ; c’est de l’orfèvrerie. Là c’est une technicité extrêmement raffinée.

Entre l’australopithèque et le néandertalien, une différenciation biologique se produit au niveau de l’ouverture de l’éventail cortical, mais à partir du néandertalien le système cortical n’évolue pratiquement plus. L’équipement neuronal du néandertalien, c’est le nôtre. Or depuis le néandertalien jusqu’à nous, la technique a considérablement évoluée ; ça veut dire que l’évolution technique ne dépend absolument plus de l’évolution biologique. Le concept technique n’est pas inscrit dans une organisation biologique du cerveau, à la différence du concept de la toile d’araignée ou du barrage du castor qui sont très liés à des déterminismes biologiques. La conséquence majeure pour moi, c’est que l’hominisation est un processus d’extériorisation d’une troisième couche de mémoire. Pourquoi troisième couche de mémoire ? Parce que depuis le néo-darwinisme et la biologie moléculaire, on pose que les êtres vivants sexués sont composés par deux mémoires. La mémoire de l’espèce, le génome, et la mémoire du cerveau individuel. Cela existe dès la bactérie, le mollusque primaire, jusqu’au chimpanzé en passant par le chien, la raison pour laquelle par exemple on peut dresser un chien ou un faucon, etc., c’est parce qu’il y a une marge d’indétermination dans la mémoire individuelle qu’il y a une certaine plasticité pour apprendre.

Mais chez l’homme, il y a une troisième mémoire dont les animaux ne disposent pas. Cette troisième mémoire c’est la technique en tant que telle. Un silex taillé, c’est une forme de matière inorganique organisée par la taille, une organisation qui se transmet, et donc la possibilité de transmission d’un savoir et d’une organisation par une voie qui n’est plus biologique, la troisième voie de la technique. Voilà pourquoi la technique est indissociable de la mémoire, ou plus exactement, pourquoi la mémoire est indissociable de la technique. Voilà pourquoi l’esclave de Ménon est obligé d’extérioriser sur le sable, de dessiner, de graver, une figure qu’il doit retrouver en organisant l’inorganicité du sable pour y projeter un concept.

3ème partie : La conscience à l’heure des objets temporels

(...) Il faut bien distinguer la technique comme milieu de mémoire, que j’ai appelé épiphilogénétique - puisqu’elle est la fois épigénétique, produite par l’expérience individuelle, et philogénétique parce que transmissible entre générations - , et - en gros à partir de Cromagnon, Lascaux - la technique comme mnémo-technique. Les groupements humains se mettent à développer des comportements faits pour transmettre la mémoire. Se développe alors ce qui explosera après le néolithique, il y a un peu plus de 10 000 ans. Le néolithique c’est le début de la sédentarisation, de la civilisation urbaine, qui se produit principalement en empire Mésopotamien (l’Irak) entre le Tigre et l’Euphrate, c’est le passage du chasseur-cueilleur à l’éleveur et au cultivateur. Cet éleveur-cultivateur il produit ce que Marx appellera une accumulation primitive de capital. Il produit du stock, et ce stock il va falloir le comptabiliser. On voit alors apparaître des mnémotechniques liées à des pratiques magiques, cultuelles et mythologiques d’ailleurs comme le supposent les fresques de Lascaux, puis liées à des pratiques de gestion de ces stocks, des pratiques de numération. Tout ça se fait dans une espèce d’inconscience, ces systèmes ne sont pas développés consciemment pour ces finalités là. Ces systèmes de numération permettent d’élaborer des systèmes de calendriers, instituant une capacité d’anticipation de la venue des saisons, d’anticiper en particulier les crues, du Tibre, de l’Euphrate, du Nil. A partir de là les grands empires vont se mettre en place, et vont se constituer par la combinaison de la richesse alluvionnaire des grands fleuves et des mnémotechniques qui permettent d’en anticiper les crues et donc d’en exploiter les potentiels.

A partir de là les systèmes de notation vont s’améliorer et vont conduire à l’apparition de l’écriture. Chez les grecs, c’est l’apparition de l’écriture alphabétique, que nous utilisons toujours - nous l’appelons alphabet parce qu’il vient de la série Alpha, Bêta, Gamma, etc. - et c’est l’écriture qui va constituer la cité grecque à proprement parler. La cité grecque, c’est une communauté de vie collective ayant une connaissance critique de ses règles de vie, ces règles on les appelle à partir de là : le droit. Pourquoi cette communauté a-t-elle une connaissance critique de ses règles de vie ? Parce qu’elle les a extériorisé sous une forme objectivable, à travers l’alphabet. Qu’apporte l’alphabet par rapport aux autres formes d’écriture plus anciennes ? Il apporte la possibilité de ré-accéder de manière littérale, c’est-à-dire quasi exacte, à un passé de la pensée. Si vous lisez le Ménon de Platon, dans le grec de l’époque, ce qui est tout à fait possible, vous le trouvez aux belles lettres dans le texte original (...) authentifié, vous accédez dans ces textes à la pensée pure de Platon. Quoi que dise Platon de l’hypomnèse par ailleurs. Quand vous lisez les phrases de Platon dans le Ménon, vous n’avez pas l’impression d’avoir une image approximative de ce que pensait Platon, vous êtes en communication immédiate et directe avec la pensée de Platon. Ça n’est pas la même chose quand vous avez accès à des énoncés cunéiformes des mésopotamiens, vous avez une relative incertitude sur leur signification. Mais aucun doute sur les énoncés écrits de Platon, ce que vous perdez c’est seulement le ton, la prosodie, etc.

C’est très important, c’est l’apparition de la première mnémotechnique que j’appelle orthothétique - d’orthos, exactement, et de thesis, position - Ce sont des énoncés qui posent exactement le passé de la pensée, et qui permettent donc une intensification de l’accumulativité et qui va permettre de continuer le dialogue avec Platon, ce que je suis en train de faire. Je peux dialoguer avec Platon parce qu’il a écrit sa pensée, et que cette pensée étant écrite je peux la réactualiser, comme dit Husserl : la réactiver, totalement sous une forme de nouvelle intuition platonicienne, c’est aussi ça qui donne une vision aussi claire et limpide de la Grèce. C’est ce qu’on appelle le miracle grec, en fait c’est parce que l’écriture nous donne une lecture précise de la manière dont ils vivaient. C’est un effet lié complètement à l’alphabet. (...) Il y a aussi le Parthénon certes, c’est aussi vrai, mais il est lui aussi assez lié à l’apparition de l’écriture.

C’est ce que j’appelle des mnémotechniques, et elles vont permettre de retenir sous une forme matérielle, le temps, et donc de conserver le passé sous une forme ré-accessible dans des conditions nouvelles. Ce que je veux dire c’est que, étudier les conditions de fonctionnement de la conscience collective et individuelle est fondamentalement conditionné par l’étude des techniques qui permettent à la conscience d’accéder à son propre passé. Ce que j’appelle ici son propre passé, c’est pas simplement le passé que j’ai vécu individuellement depuis ma naissance, mais c’est également tout le passé de l’espèce, de Platon, des égyptiens, des mésopotamiens, et même du néandertalien et de l’australopithèque. Qu’est-ce qui me permet de dire que c’est mon passé ? C’est que ce passé-là, à travers les traces accumulées, je l’ai réactualisé, j’en ai hérité sous la forme d’une culture. Ce qui fait la culture c’est que mon passé n’est pas seulement mon passé mais qu’il est le passé de mes ancêtres qui m’ont transmis un savoir.

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