Blog-note de jef safi

p h i l o s o p h e r

avec . . Michel Onfray
Movimento, dire l’ineffable ?

France Culture - Movimento, par Jeanne-Martine Vacher - Emission du o8 juin 2o13

vendredi 28 juin 2013

De tous temps, les philosophes se sont passionnés pour la musique, certains allant même jusqu’à tenter la composition tels Rousseau ou Nietzsche. Aujourd’hui, c’est Michel Onfray qui apporte sa contribution à cette réflexion complexe qui traverse les siècles, avec un ouvrage entièrement consacré à la musique : « La raison des sortilèges. Entretien sur la musique » avec Jean-Yves Clément (Editions Autrement). Avec Michel Onfray, la pensée s’enrichit du vécu, que cela soit à travers sa propre intimité et ses découvertes musicales et émotions musicales, ou par le biais des activités musicales, concerts et conférences, qu’il organise au sein de son Université populaire de Caen.

[...]

Jeanne-Martine Vacher : Michel Onfray bonjour.

Michel Onfray : Bonjour.

JMV : J’ai eu une envie de commencer cette émission en nous mettant sous les auspices de cette voix, j’allais dire lumineuse mais de cette sombre lumière de Kathleen Ferrier, dans ce premier des leaders de Malher. Alors pourquoi, pourquoi elle d’abord, au-delà de la voix peut-être parce que son personnage m’a fait penser à quelque chose de toute votre histoire, parce que Kathleen Ferrier a commencé comme petite dame des postes, comme ça un destin très humble, et puis elle est devenue cette cantatrice. Et en même temps c’est quelqu’un qui a eu le tragique de la maladie et puis aussi qui avait, mais ça on le sait moins, une espèce de rapport au rire et à la légèreté qui était intéressant. Et pourquoi Malher, parce que je voulais qu’on commence, avant d’entamer ce parcours sur la musique avec vous, je voulais qu’on commence par parler de vous et de la façon dont la musique est arrivée dans votre vie, et que, dans votre livre qui va nous occuper, "La raison des sortilèges. Entretien sur la musique" avec Jean-Yves Clément chez Autrement, vous dites ceci : "Je crois pouvoir dire qu’il y a dans ce que j’ai publié, quelque chose qui renvoie à Malher". En fait c’est presque un autoportrait que vous faites à la fois de votre écriture et de votre monde, puisque vous dites : "collages et citations, lyrismes et mélancolies, longueurs parfois et tunnels, présence majeure des souvenirs d’enfance, enracinement dans une terre, puissance (1er mouvement de la 2ème symphonie), fragilité . ., grandes formes . ., et miniatures . ., répétitions et obsessions, vitalité romantique et lassitude fin de siècle, j’aime qu’au cœur de son oeuvre majeure il n’oublie pas le bruit des clochettes, des traîneaux de ses hivers d’enfant."

MO : Oh la la. Vous me demandez de commenter tout ça ?

JMV : Non, je trouvais que c’était une introduction à votre univers à vous, qui mélangez à la fois des questions de forme et des questions de vie. Et dans votre pensée, me semble-t-il, la biographie, votre vie, est intrinsèquement liée, et vous la liez toujours. Et dans votre histoire, votre rapport à la musique ça commence de la même façon.

MO : Oui, ça c’est la leçon de Nietzsche. Quand Nietzsche nous dit dans le Gai Savoir, dans la préface au Gai Savoir, qu’on a la philosophie de sa propre personne, que c’est toujours une confession, la philosophie. On pourrait élargir au reste. Quoi qu’on fasse, de la politique, de l’architecture, de la cuisine, on cuisine comme on n’est, on bâtit les bâtiments qui nous ressemblent, . .

JMV : . . et vous dites, on écoute, on aime la musique qui nous ressemble.

MO : Voilà, et on est construit par elle aussi. C’est-à-dire que je naît dans un milieu effectivement défavorisé où la musique n’existe pas. On a une radio qui capte Europe 1 avec les succès du moment et voilà. Donc la musique classique ça n’existe pas, les concerts ça n’existe pas, le tourne-disque ça n’existe pas, il n’y a pas d’éducation musicale. Et un jour ça rentre dans une existence, la musique, il faut bien que ça emprunte une porte. Et ça structure neuronalement je dirais, je pense que c’est d’abord une affaire d’imprégnation neuronale et par la suite ça nous permet d’être ce que nous sommes. C’est-à-dire de trouver le rythme, la cadence, l’expression, je pense qu’aujourd’hui j’écris comme j’écris parce que j’ai beaucoup écouté de musique. Et l’apprentissage de l’écriture ne s’est pas fait à l’école. On ne m’a jamais appris à composer, on ne m’a jamais appris à faire ce que jadis on faisait c’est-à-dire à faire des à-la-manière-de, vous savez, où on vous expliquez comment Flaubert décrivait la pièce-montée dans Madame Bovary ; on vous disez : décrivez une bicyclette en utilisant la même structure. On ne m’a jamais transmis ça, mais quand on écoute vraiment intimement les musiques, les musiciens, on voit qu’on peut écrire comme Bach, qu’on peut écrire comme Malher, écrire comme Beethoven, ecire comme Schubert, oui.

JMV : Il y a une chose, moi, qui m’a frappée en vous lisant, si je lis encore l’arrivée de la musique dans votre histoire, votre histoire c’est pas un doux clair-obscur, c’est des sombres et des lumières éblouissantes et l’arrivée de la musique, c’est trois faits que vous donnez. C’est l’arrivée de ce tourne-disque sorti d’un sac poubelle par votre maman, et la découverte de Bach. C’est ce prêtre, dont vous dites qu’il avait l’air assez douteux dans ses relations aux jeunes enfants, que vous entendez jouer du piano solitaire et qui vous révèle encore quelque chose. C’est ce menuisier, je prends vos mots, sordide qui vous apprend le solfège. Il y a quelque chose qui m’a beaucoup frappé, comme s’il avait une espèce d’étrange conjonction entre justement le sombre et des circonstances, et la lumière de cette musique que vous découvrez.

MO : Oui, parce qu’il faut des passeurs. À la musique et à tout d’ailleurs. On a eu des professeurs qui nous ont converti à la littérature, à l’anglais, aux mathématiques, ou à la philosophie, parce qu’ils étaient vraiment des passeurs. Moi j’ai eu l’impression que mon désir de musique, que je découvre avec ce tourne-disque sorti d’une poubelle, et deux disques qui surgissent comme ça de nulle part, immédiatement je comprends que j’ai un plaisir immense à entendre Bach, qu’il y a tout un monde, et qu’il s’agit d’explorer ce monde. Et ensuite, je ne rencontre pas les passeurs. C’est-à-dire qu’effectivement une fois il y a ce menuisier sale dégoûtant qui me fait une démonstration avec une clarinette baveuse et qui me demande immédiatement après lui de jouer de la clarinette . . je m’en vais à toute allure évidemment. Ce prêtre, qui était pédophile, et qui jouait superbement du piano, mais en même temps on n’a pas envie de lui demander des leçons parce qu’on sait qu’il est pédophile. On se dit, qu’est-ce que c’est que ce monde qui s’offre sans se donner ? Qui pourrait se prêter mais ne se prête pas ? Enfin on s’aperçoit qu’il aurait suffit de peu de chose pour que je rencontre quelqu’un qui soit un bon passeur, qui m’apprenne le solfège, les claviers, et puis voilà. J’aurais au un autre rapport à la musique, ça ça me paraît évident.

JMV : De toute cette histoire-là, qu’on vient de poser un petit peu, va naître une façon, ce que vous dites vous-même, une espèce de volonté d’entrer dans ce monde de la musique, de le posséder en ogre, vous avez un coté ogre dans votre façon de poser vos désirs, toujours, et il y a quelque chose que j’aimerais beaucoup que vous développiez, c’est cette façon dont vous vous êtes construit l’oreille, construit à force de travail acharné. Alors vous avez rencontré des passeurs après à l’université, mais aussi vous avez fait un travail sur votre propre oreille, avec vos propres repères. Est-ce que vous pouvez parler de ça, Michel Onfray ?

MO : J’ai eu des passeurs pour la philo. J’ai eu un vieux maître, qui était Lucien Jerphagnon, et puis d’autres m’ont enseigné un certain nombre de choses. Ma directrice de thèse, madame Goyarte qui m’a appris à lire, à être attentif au texte, à ne pas plaquer des grilles extérieures, des grilles marxistes, des grilles freudiennes, des grilles lacaniennes, ou des grilles structuralistes. Donc ce sont des gens qui ont compté pour moi en matière de philosophie. Mais je n’ai pas eu de passeur en matière de musique, . . des rendez-vous ratés, avec des gens qui étaient des anti-passeurs d’une certaine manière. Ma formation, elle est vraiment celle de l’autodidacte.

. . 11’00