Blog-note de jef safi

s’ e n t r e - t e n i r

avec . . Baruch Spinoza via Henri Atlan
Spinoza et la biologie

samedi 4 juin 2011


Spinoza ( :) Atlan par DocMango

Le sens commun est victime de deux illusions.

D’une part, au caractère apparemment finalisé et mystérieux de l’organisation de son corps. D’un organisme biologique, tellement bien organisé qu’on ne peut pas s’empêcher d’imaginer que c’est le résultat d’un plan. D’un plan du créateur qui a organisé ça avec une intelligence supérieure, parce que on ne peut imaginer que ça a pu se faire seulement par les simples lois aveugles de la nature. En cela, Spinoza est un précurseur par rapport à la biologie actuelle.

Deuxième illusion, c’est cette question de l’interaction du corps et de l’esprit. En effet, comment est-il possible qu’un état mental puisse être la cause d’une modification d’un état du corps. Et réciproquement aussi (parce que la question se pose quand je décide de faire quelque chose, par un acte de ma volonté, et ceci a comme effet de faire faire un mouvement au corps) un phénomène physique se produit lors d’une interaction entre une onde lumineuse et ma rétine, ce phénomène physique continue jusqu’à des stimulations de neurones dans le cerveau, et puis se traduit après par un sentiment et aussi par un état mental.

Comment donc une modification physique peut-elle être la cause d’un état mental ? ... Spinoza résout le problème très simplement, mais évidemment avec des conséquences très compliquées, très simplement en tranchant le noeud gordien. Il n’y a pas de relation causale possible entre un état mental, l’esprit, et le corps. Comme il dit, nul ne sait ce que veut le corps. La volonté et l’entendement sont une seule et même chose. La volonté en elle-même n’a pas de pouvoir autre que le pouvoir de faire comprendre. Elle n’a pas de pouvoir causal quant au mouvement éventuel du corps.

... Il existe un balancement entre ces deux propositions-là qui consiste à dire d’une part, que l’esprit et le corps sont une seule et même chose, et que d’autre part, l’esprit ne peut pas déterminer le corps à faire un mouvement de même que le corps ne peut pas déterminer l’esprit à penser ou à sentir. Spinoza, nie toute relation causale possible, mais précisément parce que c’est la même chose. C’est parce que l’esprit est la même chose que le corps qu’il ne peut pas être la cause d’un mouvement du corps, ça voudrait dire qu’il est la cause de lui-même et réciproquement.

A partir de là, comment rendre compte des expériences communes qui nous font croire que nous avons une efficacité causale ? A ce moment, il nous explique qu’il existe une espèce de balancement entre les propriétés que nous accordons à l’esprit et les propriétés que nous accordons au corps, parce que bien qu’étant une seule et même chose, nous la connaissons sous deux aspects différents. C’est ça qui caractérise la solution spinoziste du corps-esprit, nous la connaissons sous deux aspects différents, l’un sous l’aspect du corps, l’autre sous l’aspect de l’esprit, mais c’est une seule et même chose.

Ces deux aspects différents ont des propriétés différentes, en tout cas qui nous apparaissent comme telles. Ces propriétés différentes c’est par exemple que la pensée est douée de réflexivité. C’est-à-dire que non seulement je peux avoir l’idée de quelque chose, celle notamment de mon corps ou d’une partie de mon corps ou du corps de quelqu’un d’autre, mais aussi que je peux avoir une idée de mon idée. Il existe dans la pensée cette propriété de réflexivité qui n’existe pas dans le corps.

Par contre, dans le corps, il existe un ensemble de complexions, un ensemble d’états d’organisation tels que, lorsqu’on est assez attentif, on s’aperçoit que cet ensemble là est capable de faire un tas de choses, indépendamment de l’effet supposé du vouloir, de la volonté. Comme il le dit : nul ne sait ce que peut le corps.

Le corps s’est habitué à avoir une activité créatrice, ce n’est pas seulement une habitude, pas seulement un instinct, c’est aussi une activité créatrice de façon en grande partie inconsciente. Le corps ne se trompe jamais, tandis que les idées peuvent être inadéquates. Nous pouvons avoir des idées confuses et mutilées qui sont la source des erreurs évidemment. Tandis que la question de la vérité ou de l’erreur ne se pose pas en ce qui concerne les états du corps.

Pourquoi avons-nous des idées mutilées ? Précisément parce que nous ne pouvons pas avoir d’idée indépendamment du corps. Cette proposition là est sitée, mais sitée dans un ordre inverse : l’ordre et la connexion des choses est le même que l’ordre et la connexion des idées. Ceci est à l’origine de la possibilité d’orienter cet ordre des choses ou des idées de façon, soit qui suit l’expérience que nous faisons de l’ordre des idées, éventuellement de l’ordre des raisons quand les idées sont des idées rationnelles, ou au contraire de laisser s’orienter cet ordre et cette connexion, aussi bien des idées que des choses, suivant l’ordre des passions.

Ce trouve là, dans cette proposition là, la source de ce qui va devenir dans la 5e partie, la libération, la liberté de l’éthique, qui permettra d’advenir lorsque l’entendement, la connaissance, d’abord rationnelle puis intuitive, aura permis d’orienter les passions, pas de les supprimer, pas de les dominer par la volonté. Le désir précède le jugement, précède même ce qu’on appelle la volonté. Il va même beaucoup loin en observant que la raison, l’entendement tout seul, n’a aucune force devant la force des affects.

Tout ce qui nous détermine, ce sont des affects. Et par rapport à la force des affects, la raison est tout à fait impuissante. La seule façon de s’en sortir, c’est de se débrouiller par une certaine stratégie, qu’il développe dans la 3e et la 4e partie, qui consiste à transformer en quelque sorte la raison en affect.

A partir du moment où la connaissance que nous pouvons avoir, y compris la connaissance rationnelle, la connaissance adéquate, est tellement bien intériorisée, alors elle devient un affect, elle devient une source de joie, et c’est en tant que source de joie qu’elle peut avoir une efficacité.

Il n’y a qu’une seule substance. La pensée et l’étendue sont deux attributs différents, certes, mais d’une seule et même substance, qui se traduisent au niveau des individus par le corps et l’esprit qui sont aussi des modes, des manières d’être d’une seule et même chose, d’une seule et même substance, mais nous connaissons par des voies différentes.

La volonté, de ce point de vue là, n’est pas autre chose que la mémoire, mais projetée sur l’avenir. Mais en réalité, c’est une connaissance, c’est-à-dire une connaissance du passé, comme la mémoire.